MOIRAGE.

Puisque nous sommes arrivés à parler du moirage, il convient de dire en quoi consiste cette manipulation qui donne aux étoffes un cachet tout particulier, et a pour résultat de produire des effets ondulés.

Les tissus les plus susceptibles de recevoir la moire, sont ceux dont le grain est le plus prononcé, principalement s'il est continu; par exemple, les poults de soie, gros de Tours, etc. , et même aussi les articles chaîne soie tramés coton. On peut également appliquer le moirage aux gros grains lamés or, et à une foule de tissus jaspés, ondés, etc. L'opération du moirage aplatissant le grain qui se produit par le croisement, le couche par parties en sens inverse les unes des autres, ce qui fait paraître sur l'étoffe une multitude d'ondulations diverses, qui ont leur cause principale dans les reflets de la lumière.
La machine à moirer, ou calandre, consiste en une grande et forte caisse d'une longueur de 3 mètres environ, sur 1 m. 60 c. de haut et 1 m. 30 c. de large; de forts plateaux parfaitement unis en dessous en forment le fond. La plate-forme sur laquelle agit la machine est solidement assise sur le sol; le poids de la caisse qui, selon les exigences du tissu, va jusqu'à 40 et même 50 mille Ivilos, est déterminé par les matériaux quelconques tassés dans l'encaissement. Quant à l'opération, voici comme elle se pratique.
On plie l'étoffe en deux dans toute sa longueur, et l'on rapporte les deux lisières l'une sur l'autre; pour que leur superposition soit conservée régulièrement, on les maintient sur toute la longueur par des points faits a l'aiguille, distants les uns des autres de 25 cent. environ. Ainsi doublée l'étoffe est repliée plis sur plis par longueur de 60 centimètres. On place ensuite la pièce ainsi préparée sur une forte toile, et de telle sorte que la totalité des plis forme un angle de 45 degrés ; c'est-à-dire, qu'au lieu d'être superposées verticalement, les extrémités de chaque pli doivent rentrer d'un côté, et de l'autre dépasser d'autant; de cette manière, les deux côtés du pli de l'étoffe forment une gradation insensible, terminée par l'épaisseur d'un seul pli.
Lorsque l'étoffe se trouve disposée comme nous venons de le dire, on l'enroule en masse sur un cylindre fait de bois de gaïac, d'un diamètre de 15 à 18 centim., et on la recouvre de plusieurs tours de forte toile, qu'on fixe par des ficelles sur les deux bords; puis on place transversalement ce cylindre sous la caisse que l'on ne charge que de la moitié de son poids pour cette première opération, et que l'on amarre au moyen d'une forte corde qui, passant sur des poulies de renvoi, va s'enrouler autour d'un treuil vertical que commande l'axe d'un manège; de sorte que la caisse fait un mouvement de va-et-Aient qui produit la moire par l'effet seul de la pression.
Après cette opération, dont la durée est à-peu-près d'un quart-d'heure, on dégage le cylindre, afin de juger de la disposition de la moire; alors, si les ondulations ne sont pas marquées convenablement, on replace ce cylindre. Si, au contraire, ces ondulations sont reconnues assez sensibles et bien dirigées, on change les plis de l'étoffe en plaçant au milieu ceux qui précédemment étaient sur les extrémités, mais en adoptant toujours le procédé angulaire; ensuite on remet le cylindre sous la calandre que l'on charge alors de la totalité de son poids. Ce changement dans la disposition des plis a pour but de rendre le moirage égal.
On reconnaît pour la moire la plus belle et ayant le mieux réussi, celle qui présente de grandes ondes terminées par deux filets déliés, et qui ne forment pas ce qu'on appelle des barrages. Le système de machine à moirer que nous venons de décrire est usité, bien que très-ancien, et présentant divers inconvénients, parmi lesquels il faut placer la forme gigantesque de la machine, les difficultés que l'on éprouve pour la faire fonctionner, enfin et surtout la perte de temps qu'occasionnent soit la vérification du moirage, soit la mise entrain. Aussi, ces inconvénients reconnus avaient déterminé beaucoup de manufacturiers à délaisser cette machine de proportions énormes, et à adopter de préférence la calandre cylindrique que l'on doit à Vaucanson. Mais l'ancien système a été remis en usage depuis quelques années, sous l'influence de la mode, qui a ramené la moire antiquelaquelle ne s'obtient que par le procédé que nous venons de citer.
La machine de Vaucanson ne produit que la moire ronde. Nous allons en dire quelques mots.
La calandre de Vaucanson est établie en forme de laminoir muni de deux cylindres métalliques de première force. Ici, la pression mutuelle des cylindres s'effectue au moyen de leviers de différents genres, la disposition de ces leviers permet d'atteindre une pression qui équivaut aux charges de la caisse dont nous avons parlé en expliquant le système ancien. Par le procédé de Vaucanson, rien de plus facile que d'augmenter et de diminuer sur le champ la pression de la machine.
Le pliage de l'étoffe diffère aussi du procédé expliqué plus haut, en ce que, dans celui que nous décrivons actuellement, l'étoffe est pliée dans toute sa largeur, tête sur tête, c'est-à-dire que la moitié de la pièce est repliée et doublée sur l'autre. C'est ainsi qu'on la place sur le cylindre inférieur. Une fois la machine mise en mouvement, il ne faut qu'appuyer sur une détente pour que les cylindres marchent à retour, et de cette manière s'exécute le mouvement de va-et-vient.
Lorsqu'il y a eu de dix à douze passées, on relève le coin de la toile afin de vérifier la première impression, pour laquelle on n'a dû mettre qu'une charge équivalent à 3,000 kilogrammes environ; elle est produite par le propre poids des leviers et par leur disposition. Aussitôt que l'on a pu remarquer que les ondes sont disposées comme elles doivent l'être , on poursuit l'opération en augmentant la charge à l'aide d'un poids de 25 kilogrammes; lequel, à raison de la combinaison des leviers, produit une charge cent fois plus forte, c'est-à dire de 2,500 kilos en sus; on continue ainsi progressivement, et de telle sorte que la sixième charge soit à peu près de 40,000 kilos; puis, afin que la surface entière de l'étoffe reçoive également le moirage, les plis doivent être changés de place; pour cette seconde opération, les charges doivent être données et augmentées graduellement comme pour la première.
Afin de pouvoir placer et déplacer l'étoffe sur le cylindre inférieur aussi promptement qu'aisément, on fait usage d'une tablette placée vis-à-vis la jonction des cylindres, et assise d'une manière solide, et des leviers qui sont disposés exprès pour servir à l'élévation du cylindre supérieur.

Moire antique, dite Moire anglaise
Nous croyons devoir donner ici, comme suite et complément nécessaire aux procédés du moirage, l'indication de ceux qui sont usités pour obtenir la moire antique, appelée aussi moire anglaise. On commence par doubler l'étoffe dans toute sa longueur, de manière à ce que les deux lisières se rencontrent parfaitement. Ensuite on coud les lisières l'une sur l'autre, au moyen de points distancés de 35 centimètres, afin que l'endroit de l'étoffe se trouve en dedans, et l'envers en dehors.
Si l'une des deux lisières se trouvait plus longue que l'autre , - ce qui pourrait empêcher d'obtenir de belle moire, — on fait emboire la plus longue, à mesure qu'on les coud, pour que le même fil de trame se rencontre lorsque l'étoffe est doublée. Car il arrive parfois, dans ces étoffes façonnées, que le dessin ne se rencontre pas exactement en pliant l'étoffe comme il est dit plus haut. Dans ce cas, on fera courir l'une des lisières autant qu'il faudra pour que le façonnése rencontre bien.
On donne ensuite sur toute la longueur de la pièce, et sur les deux lisières cousues ensemble, de légers coups de ciseaux, non pas dans le sens de la trame, mais, obliquement, parce que les lisières étaient quelquefois plus tirantes que le milieu de l'étoffe, produiraicnt un mauvais effet pour le moirage.
L'étoffe étant ainsi doublée, ajustée et cousue, on la plie en baguettes sur une table où sont fixés quatre morceaux de bois posés perpendiculairement pour retenir les baguettes sur la table. La distance à observer pour la longueur doit être de 57 à 58 centimètres ; le plateau attenant à la table sur laquelle on plie, et qui doit être percé de plusieurs trous pour y introduire les morceauxde bois qui retiennent les baguettes, a pins ou moins de distance , suivant la longueur de l'étoffe qu'il faudra plier.
La pièce d'étoffe étant pliée par plis de 57 à 58 centimètres de longueur , on la met sur une toile cordat, une et serrée, ayant 11 mètres de long à peu près, et de 75 à 80 centimètres de large. On place au dessous et contre la toile, la partie de l'étoffe qui est la plus forte, parce qu'elle risque plus de se froisser que la partie qui est étendue la dernière. On mettra aussi en tête de l'étoffe des morceaux de toile, de même qualité que la grande toile dont on vient de parler, et ayant 40 à 50 centimètres de hauteur; ils sont destinés, tant à garantir l'étoffe de l'action de la pierre, du fer et du bois, entre lesquels elle se trouvera pressée, qu'à grossir le rouleau, lorsque l'on n'a pas à moirer une grande quantité d'étoffe.
Lorsque la toile est neuve, il convient de la tremper dans l'eau avant de s'en servir, de la faire sécher et de la placer environ une heure sous la calandre, seule, c'est-à-dire sans étoffe, mais avec les autres morceaux ou lanières de toile dont il a été aussi question. Cette précaution a pour objet de rendre ces toiles plus unies, et d'empêcher que le grain ne s'imprime sur les étoffes.
Quand la toile a été préparée, on coupe les lisières obliquement comme on l'a fait pour les étoffes, parce qu'elles ne s'étendent pas, la pression n'étant pas aussi forte pour elles que pour le milieu de l'étoffe.
Placée sur la toile, l'étoffe y est tendue pli par pli, entre chacun desquels on laisse un intervalle de 5 centimètres.
On peut placer de la sorte 80 à 100 mètres d'étoffe à la fois: mais il faut avoir soin de mettre entre une pièce et l'autre une lanière de toile lisse, ou même quelquefois une feuille d'un papier un peu fort, afin de faciliter le glissage de l'étoffe et d'empêcher qu'il s'y forme des plis.
On plie l'étoffe en longueur dans la toile, dans la largeur de celle-ci, les lisières étant maintenues du côté du haut de cette même toile. (On désignera toujours dans cette description, par côté du haut, celui qui est opposé au rouleau .sur lequel la toile est pliée pour être misesous la calandre.)
Ainsi préparée, la toile est enroulée autour d'un rouleau de bois, bien serrée au moyen d'une manivelle, et placée sous la calandre dans sa partie supérieure, et sur une pierre polie. Il est essentiel que le rouleau soit mis sous la calandre parfaitement d'équerre; sans cette précaution, la toile et les étoffes se froisseraient et s'endommageraient.
Au moyen des tables et poulies adaptées à son mécanisme, la calandre allant et venant fait faireau rouleau environ deux tiers de tour d'un côté et autant de l'autre, la pression ayant lieu sur toute la circonférence du rouleau.
L'opération s'exécute pendant une demi-heure; après ce temps, on lève le rouleau pour examiner si les toiles et les étoffes ne sont pas dérangées ou froissées : ce qui arrive fréquemment. Si l'on y trouve des plis, on les efface en passant l'ongle dessus; on met des morceaux de papier superposés aux plis; ces morceaux de papier rendent la couche plus épaisse où ils se trouvent, par conséquent la pression plus forte, ce qui amène la disparition des plis. Lorsque le bout est bien arrangé, on place de nouveau la toile et son contenu autour du rouleau que l'on remet sous la calandre, où il roule encore une demi-heure. Ce temps expiré, on lève le rouleau, on plie une seconde fois les pièces qui se trouvent dessus, en ayant la précaution de changer les plis, afin queceux déjà formés sur la pièce ne se trouvent pas au même endroit sur la toile, mais bien au milieu de celle-ci.
Les pièces repliées, on les met de nouveau dans la toile, et on fait passer le rouleau sous la calandre pendant une demi-heure; puis on le lève, on le visite, on replace le tout bien en ordre, ensuite on remetle rouleau sous la calandre pour la quatrième fois, et toujours pendant 1/2heure. Enfin, après ce quatrième passage du rouleau sous la calandre, on enlève les pièces et on les replie une troisième fois, mais avec plus de soins et de précautions que dans les pliages précédents.
Ce dernier pliage est appelé pliage pour finir, pour rentire au marchand. 11 est indispensable que tous les plis soient égaux, que l'étoffe soit bien dressée et que les plis soient effacés. Pour ce cinquième tour de calandre, à moins que le marchand n'ait recommandé de tenir son étoffe très-souple, on mouille légèrement au moyen d'une éponge imbibée d'eau, la partie de la toile nécessaire pour y placer les étoffes qui ont passé déjà quatre fois sous la calandre; si l'on a d'autres étoffes qui n'aient pas encore été travaillées, ou qui n'aient passé que deux fois sous la calandre, on les placera en tête de celles qu'on veut finir, mais on ne mouille pas la place où on les met.
Le rouleau, pour les cinquième et sixième calandrages, doit passer sous la calandre, une demi-heure chaque fois. La manière de procéder est du reste absolument la même que pour les quatre premières soumissions à la calandre; mais comme l'étoffe ne doit pas être ensuite repliée, il  convient d'apporter de plus grands soins soit pour l'étendre , soit pour faire disparaître les plis qui auraient pu s'y former.
Il arrive parfois que, même après qu'elles ont passé six fois sous la calandre, on trouve encore des plis aux étoffes. Il faut alors les effacer, y mettre des papiers, et replacer le rouleau sous la calandre pendant 10 ou 15 minutes, afin que ces plis disparaissent totalement.
Puis on sort du rouleau les pièces qui sont finies; on les met sur une table, de manière que le côté qui flatte davantage l'oeil se trouve dessous. On prend ensuite tous les plis les uns après les autres pour les placer dans un sens opposé et les égaliser parfaitement. C'est là ce qu'on nomme tourner la pièce; on la met en presse quelques heures, et après cette opération, elle peut être rendue au marchand.
Tout ce qui vient d'être dit s'applique en général à toutes les étoffes destinées au moirage; mais il existe une autre préparation spéciale pour les étoffes légères, et qui consiste à les apprêter quand elles ont passé quatre fois sous la calandre. Pour cela on met dans un litre d'eau 170 grammes de colle de Flandre, ou de gélatine blanche et bien claire; on laisse dissoudre la colle quelques heures, et on la fait bouillir jusqu'à ce qu'elle monte. Lorsqu'elle a monté trois fois, on la passe dans un tamis de soie bien fin, puis on F étend avec une éponge sur les deux côtés de l'étoffe, à l'envers. Si l'on opère sur des couleurs tendres ou sur du lamé or, il faut que l'eau d'apprêt n'ait qu'un degré de chaleur peu élevé, parce que si l'eau était trop chaude, on risquerait de faire changer les nuances ou de rougir le lamé. Les pièces étant apprêtées de cette sorte, on les met sécher, en évitant de les exposer à des courants d'air; on doit aussi éviter de trop les approcher du feu, car l'apprêt tomberait et l'opération se trouverait annihilée.
Quand la pièce est bien sèche, on la plie, comme on l'a fait pour les premières, on la fait passer une demiheure sous la calandre; et on la replie enfin une quatrième fois, pour finir, ainsi qu'il a été expliqué plus haut.
Il convient d'observer que les pièces ainsi apprêtées laissent dans la toile où elles sont mises, et par l'effet de la pression, une partie de leur apprêt, ce qui donne à cette toile de la fermeté, la rend lisse, par conséquent plus propice au travail, parce que les étoffes glissent plus aisément et sont moins sujettes à se froisser.
Si l'on passe quelque temps sans apprêter des étoffes, et si la toile est devenue trop molle, on y remédie en faisant une eau d'apprêt, comme on l'a indiqué ci-dessus ; mais elle devra être moins forte, c'est-à-dire qu'on n'emploiera que 50 à 60 grammes de colle par litre d'eau.
On étend cet apprêt sur la partie de la toile qui est destinée à recevoir les pièces; on fait ensuite sécher la toile, et avant d'y mettre desétoffes, on la soumet à la calandre pendant une demi-heure.