Le Taffetas

Quoique tissées d'après la même armure (toile), toutes les étoffes qui dérivent du taffetas ne sont pas semblables; elles ont des qualités particulières qu'elles tirent de leur mode de confection, et qui produisent, à l'oeil ou à la main, des effets qui servent à les différencier et qui leur fait assigner des noms spéciaux. Nous allons nous occuper successivement de chacune d'elles.

Du Taffetas en général

Le taffetas, la toile ou fond-toile, est le tissu le plus simple, le plus solide, le plus facile à concevoir (NDLR: mais aussi le plus difficile à réussir car il ne pardonne rien), et celui dont l'usage est le plus répandu. C'est la première de toutes les étoffes, c'est la plus anciennement connue, c'est celle dont le genre de croisement se rapproche le plus des nattes anciennes, des claies, des tresses,etc. Il est le plus facile à concevoir et à exécuter, parce qu'on le trouve reproduit à chaque pas dans les objets les plus simples et les plus communs qui servent à nos besoins. Nous n'avons pas à parler ici du croisement du taffetas en général, puisque ce croisement est celui de l'armure qui lui est propre. Passons à ses dérivés, qui sont tous des toiles de fantaisie, mais disons d'abord que, quoiqu'on doive comprendre qu'il s'agit ici de l'emploi de la soie comme matière première, les divers genres de taffetas de fantaisie peuvent aussi s'exécuter avec d'autres matières, comme la laine, le coton, etc., seulement ces tissus sont des imitations auxquelles le commerce et la mode n'ont pas assigné les mêmes noms.
Du Florence, ou taffetas léger
Cette dernière dénomination lui vient de ce que, de toutes les étoffes en soie, celle-ci est la plus légère. C'est à Florence (Firenze), vraisemblablement, que cette variété de taffetas fut exécutée primitivement. Mais aujourd'hui (NDLR: nous sommes en 1848), la fabrication de Florence appartient presque exclusivement à la ville d'Avignon, où l'on en fait des quantités considérables, qui, vu leur légèreté et la modicité de leur prix, sonr spécialement employées pour doublures, c'est à dire qu'il est le moins estimé des tissus de soie.La Florence se tisse avec chaîne et trame simples.
De la Marceline
Ce taffetas a pris son nom de celui de son inventeur Marcel, lyonnais d'origine. Cette étoffe, de nos jours, est généralement adoptée pour robes; ce qui tient à ce qu'elle a sur beaucoup d'autres genre de la même armure, l'avantage de ne pas craindre le froissement. La Marceline se tisse avec chaîne double et trame simple. Pour cette étoffe, comme pour la précédente, la chaîne doit être bien tendue. Inutile de dire que pour l'une comme pour l'autre on doit ne faire qu'une passée, ne donner qu'un coup de navette et qu'un coup de battant à chaque ouverture, marchure, foule ou pas.
Du taffetas pour l'apprêt
C'est un taffetas simple, ordinaire, dans lequel on n'emploie guère de trame, et qu'on bar à pas fermé sur une chaîne peu tendue. On supplèe au défaut de recouvrement de la trame, par le passage d'un polissoir sur l'étoffe. C'est un usdtensile en corne, en os, ou en fer-blanc, qui sert à lustrer le tissu en l'égalisant.














Un polissoir en corne

Cette opération consiste à frotter avec le polissoir, fortement, également et régulièrement la façure, c'est à dire la partie tissée qui n'est pas encore enroulée. On doit lâcher un peu l'étoffe pour opérer longitudinalement, et lui donner presque sa tension première pour opérer transversalement.
Du taffetas pour la main
Celui-ci diffère peu du précédent; il se tisse comme lui à pas fermé, mais sur une chaîne plus tendue. On y passe également le polissoir.Ces deux espèces sont de prix et de qualités au dessus du Florence et au dessous du Gros de Naples.


Taffetas lustré
Cette qualification lui vient de son brillant, de son éclat. Cette étoffe est tissée à pas ouvert, ce qui en resserre davantage la contexture, sur une chaîne moins tendue que celle du taffetas dit pour la main, avec une trame organsin qui n'a été moulinée qu'une fois. C'est principalement à l'emploi de cette trame que le taffetas lustré doit sa souplesse et son brillant. C'est ici le lieu de parler de l'opération connue sous le ,om de Tirage d'oreille attendu qu'elle a lieu pour les tissus dont il vient d'être question.Lorsqu'une étoffe ne couvre pas suffisamment, c'est à ndire quand, malgré le frottement du polissoir, on y aperçoit encore les tracesd des broches ou dents du peigne, on remédie à ce défaut en étirant l'étoffe d'une lisière cà l'autre, par petites secousses saccadées, en sens oblique, et par distances d'environ 50 cm. L'espèce de fouettement qu'on répète ainsi plusieurs fois sur le même endroit, fait entièrement disparaître cette défectuosité, et l'étoffe étant ensuite enroulée de nouveau reprend sa fermeté primitive. On recommence cette opération toutes les fois qu'il y a environ deux mètres d'étoffe tissée.Ce procédé est usité pour les étoffes légères, telles que le Florence, le taffetas pour l'apprêt, le taffetas lustré, les satins légers, etc.


Du Gros de Naples
Le Gros de Naples nous est venu des manufactures d'Italie; il a été importé de Naples en France lors du transfert de la demeure pontificale de Rome vers Avignon. La chaîne du Gros de Naples doit être ourdie à fils doubles, et la trame doit être aussi composée de deux fils ou brins (en terme de fabrique on substitue le mots bouts à celui de brins.). Pour que cette étoffe soit de belle qualité, il faut que, sur chaque passée de trame, il soit frappé deux coups de battants, dont l'un à pas ouvert, et l'autre à pas fermé ou clos. Sans ce double coup de battant, l'étoffe serait sujette à bouillonner; en effet, la chaîne étant tendue moins fortement pour cette étoffe que pour les précédentes, si la trame n'est pas uniformément répartie dans la chaîne, il en résulte dans le tissu des parties lâches et d'autres tendues; c'est là ce qu'on entend par bouillonner. L'éclat qui fait le principal mérite du Gros de Naples provient de la grande quantité de trame qu'on emploe. Il est utile, lors du tissage de cette étoffe, d'enrouler, autour du rouleau, des feuilles de papier lisse, entre les superpositions du tissu; sans cette précaution, le frottement de la matière sur elle-même et la tension de la pièce sur le rouleau imprimeraient une sorte de moiré. Cette étoffe est recherchée pour robes et chapeaux de dame.

Du Poult de soie
C'est la même chose que le Gros de Naples, avec cette seule différence que la trame de celui-ci est composée de deux brins seulement, et que cele du Poult de soie en contient davantage, trois au moins, huit ou dix au plus. Cette étoffe, d'un prix plus élevé que le Gros de Naples, est comme lui recherchée pour robes.

Du Gros Grain
C'est une espèce de Poult de soie dont la trame soie est remplacée par un seul fil de coton retors. Cette étoffe est d'un prix beaucoup plus modique que celui des deux précédentes; mais aussi son brillant leur est bien inférieur. Il est une observation importante à faire: c'est que quand un ouvrier a quitté pour quelques instants la pièce qu'il tisse, il doit, avant de reprendre son travail, réouvrir le dernier pas, écarter la dernière trame passée et la frapper de nouveau; sans quoi il y aurait en cet endroit une rayure en travers de l'étoffe.

Du Gros des Indes
C'est une autre espèce de taffetas qui nous est venue de l'Asie Orientale. On obtient cette belle étoffe au moyen de deux chaînes dont l'une est simple et l'autre double ou triple, et de deux trames, dont l'une est fine et d'un seul bout, et l'autre grosse et de plusieurs bouts. Les deux chaînes sont passées au remattage, de manière que toutes les lisses (cadres) paires, par exemple, lèvent la chaîne ourdie double ou triple, et que les lisses impaires lèvent la chaîne simple, et ou vice versa. De façon que chaque fil de la chaîne simple se trouve placé entre deux fils de la chaîne double, et chaque fil de la chaîne double entre deux fils de la chaîne simple. Nous avons dit que les deux trames qu'on emploie sont de grosseurs inégales; elles sont montées sur deux navettes particulières que l'on fait passer alternativement dans l'ouverture, de manière que la chaîne simple recouvre la trame fine, et la chaîne double ou triple, la trame à plusieurs brins. Il en résulte, par l'endroit de l'étoffe, qui est le coté par où la grosse chaîne recouvre la grosse trame, de petites côtes transversales bien prononcées.Mais la chaîne double, par cela même qu'elle recouvre la grosse trame du coté le plus saillant, s'emboît (NDLR: embuvage = retrait de la chaîne) plus vite que l'autre, d'où il suit qu'elle doit être enroulée sur un rouleau séparé, afin que les bascules, disposées en conséquencz lâchent de chacune des longueurs inégales et proportionnelles. La tension réciproque de ces deux chaînes doit être dans un rapport tel, qu'il favorise la production de l'effet qu'on désire obtenir. Ainsi, le sillon transversal que produit la grosse trame est d'autant plus prononcé que la grosse chaîne est moins tendue.

Du velours simulé
Bien que, comme les précédentes, cette variété soit un véritable taffetas, on lui a donné le nom de Velours simulé, probablement parce que ce tissu a quelqie ressemblance avec le velours frisé, auquel il ressemble beaucoup moins pourtant qu'à l'étoffe dont nous venons de parler et dont il est une parfaite imitation, une falsification même, si nous pouvons nous exprimer ainsi.Le velours simulé, en effet est presque en tout semblable au Gros des Indes: il s'obtient comme lui par le croisement de deux chaînes et de deux trames inégales en grosseurs. Il en diffère seulement en ce que la grosse trame, au lieu d'être en soie, est en coton retors.

Du Gros de Tours
Ce genre, dont les premiers échantillons vinrent de Tours, est usité principalement pour les étoffes façonnées, à jours ou à bandes, formées par d'autres armures conjointement avec celle-ci. Quand le Gros de Tours forme une pièce entière, dont il est le seul tissu, ce n'est à le bien considérer qu'un taffetas trés fort, dont la chaîne est double ou triple, et doublement tramé dans chaque ouverture. Néammoins on procède dans la confection du Gros de Tours autrement que dans le celle du taffetas ordinaire, puisque les mêmes lisses (cadres) lèvent deux fois de suite.Ce serait une erreur de croire qu'on produirait en passant et en battant d'une seule fois les deux trames, l'effet qu'on obtient en les passant et en les battant séparément; car dans ce dernier cas les deux coups de trames sont placés à coté l'un de l'autre, tandis qu'ils seraient souvent tors ensemble ou superposés si on les passait et si on les battait d'une seule fois.

Du Cannelé
Le Cannelé, auquel beaucoup de fabricants assignent à tord le nom de Crépé, est un effet spécial employé partiellement, et résultant d'un mode de croisement dans lequel plusieurs fils forment des brides, qui se représentent alternativement par petites bandes coupées, dans lesquelles il se dessine des carreaux ou parrallèlogrammes d'une dimension variable.Le Cannelé s'obtient soit par effet de chaîne, soit par effet de trame, soit enfin par effet de chaîne et de trame.L'usage du Cannelé est d'un trés beau coup d'oeil, quand il est employé avec goût, mêmé de bandes ou de carreaux d'un autre genre, ou disposé de manière à former des dessins, et surtout lorsqu'on y emploie deux nuances bien assorties.Il n'est pas d'usage d'employer en même temps le Cannelé dans toute la largeur de l'étoffe, car alors ce tissu formerait des bandes ou raies transversales, et ne porterait plus plus le nom de Cannelé; il ne peut donc être employé qu'avec d'autres bandes tissées d'après une autre armure. Le Cannelé étant le résultat de plusieurs coups de trame dans une même ouverture de chaîne, il en résulterait, si on l'employait tout en travers de la pièce, un tissu trés épais qui, sans avoir la perfection et la solidité des étoffes dites gros-grain, en aurait cependant la ressemblance. Néammoins ce que nous disons ici comporte une exception, comme on le verra pour le Cannelé composé.On distingue 3 sortes de Cannelé: le Cannelé simple, le Cannelé contresemplé, et le Cannelé composé. Nous traitons ici des deux premières espèces seulement, parce qu'elles dérivent de l'armure taffetas, et nous parlerons de la troisième espèce en son lieu.
Cannelé simple : Le Cannelé simple, est une sorte de Gros de Tours, pour lequel on fait, au lieu de deux, trois et quatre, même jusqu'à huit passées de trame dans la même ouverture de chaîne, de même que le Gros de Tours n'est autre qu'un taffetas à double passée de trame. On doit donc considérer le Cannelé, quant aux deux premiers genres, comme dérivé de l'armure taffetas. Le Cannelé simple n'a pas d'envers, c'est à dire qu'il produit le même effet sur chaque coté de l'étoffe. Ceci résulte de ce que, lors du passage de la trame, il lève toujours autant de fils qu'il en reste au fond et le même nombre de fois; d'où il suit que tous les fils d'une bande cannelée lèvent ou baissent ensemble, la même quantité de coups que ceux d'une bande voisine, pairs avec pairs, impairs avec impairs.
Cannelé contresemplé ou quinconce : Ce genre de Cannelé est tissé d'après les mêmes principes que le précédent, auquel il ressemble, si l'on ne considère, du Cannelé simple, que les carreaux compris entre les bandes dissemblables; mais le Cannelé simple diffère de celui qui nous occupe, en ce qu'il ne saurait être exécuté dans toute la largeur de l'étoffe, sans être divisé en bandes longitudinales, tandis que le Cannelé quinconce ou contresemplé, peut s'étendre à une largeur quelconque et a une longueur indéfinie. Le nom de contresemplé est l'expression par laquelle on désigne à Lyon et dans dans quelques autres villes du Midi. Mais le nom de quinconce qu'il a reçu à Elboeuf et dans les villes manufacturières du Nord de la France, donne une idée plus juste de l'arrangemet de ses carreaux, ou de ses effets. Ce Cannelé quinconce tout comme le Cannelé simple, n'a pas d'envers. Quand le cannelé a un envers, il s'agit d'un cannelé composé.