Boris Vian était un virtuose, et pas seulement en littérature. Ce qu'on appelle généralement le style Vian ne lui est peut-être pas propre, c'est peut-être la voie royale des rationalistes dévergondés. Au-delà de l'humour, de la dérision, de la révolte, de la fantaisie, du goût des mots et de ses jeux, et de l'absence de préjugés et de tabous, toutes choses dans lesquelles Boris Vian excellait, le rationalisme rejette toute explication métaphysique et s'oppose au mysticisme, au spiritualisme. Dès lors, l'auteur rationaliste, dévergondé, au lieu de rejeter dans son écriture tout ce qui est irrationnel à ses yeux, prendra plaisir à parcourir le chemin inverse et s'engouffrera tambour battant avec délectation dans les choses de l'irrationnel, donnant libre cours à une fantaisie enfin affranchie, et poussant l'irrationnel à son paroxysme, sans qu'aucune limite, d'aucune sorte, ne puisse désormais l'arrêter. Puisque ce que j'écris n'est pas rationnel, alors je me fais plaisir en poussant les manettes à fond ; puisque je ne crois pas à ce que je dis, je ne risque rien. Boris Vian était ingénieur. Qui de plus rationnel ?



L'inventivité n'est alors plus aussi exceptionnelle qu'on pourrait le croire. Non, il suffit de se laisser porter par les mots, par les expressions, celles de tous les jours, et de les suivre naturellement, jusqu'au bout, sans les lâcher un seul instant, sans en avoir peur, de les pousser dans leurs derniers retranchements, et l'écriture vient toute seule, sans recours au forceps. C'est un plaisir nouveau d'écrire de la sorte, loin du syndrome de la feuille blanche, dans une liberté totale, une jouissance de tous les instants, libéré de toutes les contraintes de temps, d'espace et de lieu qu'exige habituellement l'écriture.

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